Aux noces de Cana, voyant que le vin des noces était épuisé, la mère de Jésus vient l’informer qu’il n’y a plus de vin. La réponse de Jésus dans Jean 2,4 : « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore arrivée » intrigue le lecteur et a fait l’objet de nombreux commentaires. L’Église explique admirablement les différents messages contenus dans cette phrase. On nous apprend en particulier que le mot « femme » qu’emploie le Seigneur n’est pas dévalorisant dans sa bouche. S’il qualifie ainsi sa mère devant ses disciples, c’est afin qu’elle soit désignée sans ambiguité comme la femme prophétisée dans la Genèse. Celle qui doit écraser la tête du serpent.
Il n’empêche que le terme paraît rude, et étonne le lecteur, qui peut y voir la même sècheresse que dans Matthieu 12, 48, lorsque Jésus dit « Qui est ma mère et qui sont mes frères ? »
Nous n’allons pas revenir sur ce sujet, qui a déjà traité en détail par les pères de l’Église.
La réponse de la Sainte Vierge, en revanche, dans le verset suivant contient une subtilité qui, à notre connaissance, n’a encore jamais été relevée. Regardons cela de plus près.
Dans Jean 2,5, nous lisons :
Sa mère dit aux servants : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. »
Lorsqu’on applique la méthode de Saint Ignace pour se représenter la scène, ce dialogue est plein d’audace. Nous comprenons que la Sainte Vierge demande à Notre-Seigneur d’opérer un miracle public, par charité pour les époux qui ont mal calculé la quantité de vin. Jésus lui adresse un refus poli, justifiant que c’est à LUI de décider des circonstances par lesquelles il doit se révéler aux disciples. Marie passe outre, et envoie vers lui les serviteurs pour recevoir ses consignes.
On imagine sans mal les regards des différents protagonistes à cet instant : celui des serviteurs qui scrutent le visage de Jésus, attendant un ordre ; celui de la Sainte Vierge, pressant, qui le supplie de faire quelque chose ; celui des disciples concentrés, qui vont de la Vierge à Jésus ; celui de Notre-Seigneur enfin, dans lequel on pourrait lire un mélange de perplexité et peut-être… d’amusement.
Pourquoi d’amusement ?
Parce qu’il y a dans le « tout ce qu’il vous dira, faites-le » un clin d’œil : une autre référence à la Genèse, justement. La Vierge Marie SAIT que Jésus l’appelle femme en référence aux paroles prononcées par Dieu dans le jardin d’Éden, alors elle réplique avec une AUTRE citation, tirée elle aussi de la Genèse, dans 41, 55, et dans laquelle il est écrit « faites tout ce qu’il vous dira » ! Et sachez bien qu’il n’y a aucune autre réplique identique dans toutes les Écritures. Ce n’est pas un hasard.
Nous avons dans ce chapitre de la Genèse une scène tout à fait analogue : cette fois, ce ne sont pas les convives de Cana qui manquent de vin, mais les égyptiens de Pharaon qui manquent… de pain ! Les égyptiens réclament à manger à Pharaon. Celui-ci désigne alors Joseph et les envoie vers lui, afin qu’il distribue la nourriture qu’il avait mise en réserve pour le temps de famine.
Genèse 41, 55 :
Puis tout le pays d’Égypte souffrit de la faim et le peuple demanda à grands cris du pain à Pharaon, mais Pharaon dit à tous les Égyptiens : “Allez à Joseph et faites ce qu’il vous dira”
Rappelons l’épisode pour bien en comprendre la portée : Joseph, le fils de Jacob rejeté par ses frères, s’est retrouvé en Égypte. Là, il révèle à Pharaon le sens de son rêve sur les vaches grasses et les vaches maigres qui annoncent 7 ans de famine dans le pays. Pharaon, qui comprend qu’il est envoyé par Dieu, le charge alors de gérer le pays en son nom. Pharaon dit à Joseph : « Je suis Pharaon, mais sans ta permission personne ne lèvera la main ni le pied dans tout le pays d’Égypte. » (Gn 41, 44)
La Vierge Marie, qui a été élevée au Temple, connaissait les Écritures. Joseph, son époux, qui portait le nom de son illustre ancêtre, connaissait aussi certainement ce passage par cœur. Tous deux l’avaient raconté à Jésus enfant lorsqu’ils étaient eux-même en Égypte pour fuir la persécution d’Hérode.
Aussi, lorsqu’elle prononce ces mots : « Tout ce qu’il vous dira, faites-le. », la Vierge Marie ne donne pas seulement un ordre aux serviteurs, tout en pressant son Fils d’opérer un miracle public…
C’est plus fin que cela ! Elle évoque un épisode historique.
Par un jeu de miroirs, par lequel l’Ancien et le Nouveau Testament se renvoient constamment, Marie place Jésus dans la position de Joseph, responsable de la vie ou de la mort des égyptiens menacés de famine — et Jésus est effectivement le Sauveur qui garde les âmes pour la vie éternelle — mais elle se place aussi elle-même dans la position hiérarchique de celui qui dit aux égyptiens d’obéir à Joseph, et qui est supérieur à Joseph dans l’ordre naturel : Pharaon !
Le clin d’œil est habile et plein d’ironie. Joseph n’aurait aucun pouvoir s’il ne lui avait été donné par Pharaon ; de même, Jésus doit au FIAT de Marie d’avoir pu s’incarner dans son sein.
En une simple phrase, d’une subtilité toute céleste, Marie répond au qualificatif « femme » — qui effectivement pouvait paraître méprisant au pied de la lettre — en rappelant sa légitimité de Mère à commander au Seigneur !
O Marie, Rose Mystique, donnez-nous de toujours mieux vous connaître, afin que grandisse notre amour pour votre personne et celle de votre divin fils.
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