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L’intendant malhonnête

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Explication de la parabole de l’intendant malhonnête. Luc 16, 1-13

Les années liturgiques passent, les prêtres se succèdent, et pourtant, chaque année, un ami vient me voir après avoir écouté le prêche concernant la parabole de l’intendant malhonnête, pour me dire qu’il demeure troublé par le sens de cet évangile. Et en effet, à chaque fois, le prêtre nous donne différentes interprétations qui sont conformes à l’enseignement de l’Église mais qui avancent des arguments parfois un peu alambiqués pour justifier ce qui apparaît tout de même comme un problème moral. Pourquoi autant de difficultés pour expliquer cette parabole ?

« Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. (Luc 16, 9) »

Par cette formule, Jésus paraît justifier l’usage de l’argent malhonnête. D’autant plus que dans le verset précédent, le maître fait « l’éloge » de l’intendant. Une façon de dire que la fin justifie les moyens ?
Non, car même avec de l’argent malhonnête, une tricherie reste un mal et il nous paraît inconcevable que Dieu puisse couvrir ce larcin. Et d’ailleurs Dieu ne l’autorise aucunement, puisque Jésus ajoute :

« Celui qui est digne de confiance dans la moindre chose est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est malhonnête dans la moindre chose est malhonnête aussi dans une grande.

Si donc vous n’avez pas été dignes de confiance pour l’argent malhonnête, qui vous confiera le bien véritable ? (Luc 16, 10-11) »

Afin de comprendre cette contradiction apparente, nous devons d’abord faire abstraction du titre que l’on donne à ce texte.
En effet, dans les différentes éditions de la Bible, cette parabole est généralement précédée d’un titre qui peut être « l’intendant malhonnête », « le gérant malhonnête » ou bien « l’intendant infidèle ».
Pourquoi le titre est-il important ?
Parce qu’il peut fausser l’interprétation en désignant au lecteur l’intendant comme sujet principal, c’est-à-dire la question de la gestion du bien d’autrui. Pourtant, tout le chapitre 16 porte sur la question de la détention de richesse, et non sur les qualités du gérant.

Or, dans cette scène, il y a deux protagonistes : l’intendant et… l’homme riche ! Le titre approprié devrait être : « l’homme riche et son intendant ».
En effet, quelques versets plus loin, Luc nous livre une autre parabole qui, elle, est systématiquement intitulé : « l’homme riche et Lazare ». Le sujet dont traite la parabole est bien « l’homme riche ». C’est d’abord de lui dont il est question.

Nous allons donc nous livrer à une interprétation de la parabole en nous focalisant sur ce personnage.

Premier niveau de lecture.

Luc nous raconte plusieurs paraboles qui mettent en scène des hommes riches :

– Il y a l’histoire de l’homme riche dont le domaine avait bien rapporté et qui se préoccupait de construire des silos supplémentaire pour stocker l’excédent de sa récolte pour lui-même alors que sa mort précoce allait le priver d’en jouir (chapitre 12).
– Il y a l’histoire de l’homme riche qui faisait des somptueux repas sans égards pour le pauvre couvert d’ulcères qui se mourrait à sa porte (chapitre 16).
– Il y a l’homme riche qui aimerait suivre Jésus, mais qui se détourne et s’en va tristement lorsque Jésus lui apprend que pour avoir la vie éternelle en héritage il devra distribuer ses biens aux pauvres (chapitre 18),

Ce thème est récurrent dans l’Évangile de Luc. Clairement, il est enseigné que la détention de richesse est un véritable obstacle à la vie divine : « il est plus facile à un chameau de passer par un trou d’aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu. (Luc 18, 25) »

La parabole de l’intendant malhonnête nous parle donc finalement d’un homme riche malhonnête, qui se fait voler par un employé qui n’est pas moins malhonnête que lui.
L’employé reçoit les éloges de son patron lorsque celui-ci découvre son ultime stratagème, car, effectivement, selon ses critères d’homme riche qui placent l’habileté en affaire au-dessus de toute considération morale, l’intendant était un élément qui, en fin de compte, sert le même maître que lui ! C’est ce qu’il fallait comprendre.

La parabole ne donne pas le mauvais gérant en modèle, comme ce qu’on peut penser à première vue, mais fustige au contraire l’attitude de l’homme riche, qui manifeste de la complaisance pour son voleur. Des deux personnages, l’homme riche et le gérant, le pire n’était finalement pas le gérant mais plutôt l’homme riche qui le félicite. Le texte les renvoie tous deux dos à dos, comme des complices qui, fondamentalement, servent le même maître : l’argent, c’est-à-dire Mammon !
« les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière. »

C’est bien ainsi que nous devons lire la parabole.
Le suite nous le confirme : « vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’argent » lisons-nous dans le verset 13.
Le verset 18, lui, aborde les situations matrimoniales : “Tout homme qui renvoie sa femme et en épouse une autre commet un adultère ; et celui qui épouse une femme renvoyée par son mari commet un adultère.”
Ce sujet paraît incongru dans ce contexte. Pourtant sa présence précise l’ensemble du chapitre 16, où il n’est question que de fidélité à Dieu par opposition à la fidélité envers l’argent.

Second niveau de lecture.

Lire les Saintes Écritures est comme parcourir un paysage. Selon le lieu d’où l’on observe, le panorama change et dévoile des détails qui étaient cachés par le premier plan.
Nous venons de voir qu’en nous positionnant sur « l’homme riche » plutôt que sur le gérant, la parabole prenait tout son sens.

Or, dans ce texte, l’homme riche est aussi appelé maître. Et nous savons que dans certaines paraboles, le maître est une image de Dieu. Aussi, sans quitter le verset 9, nous allons maintenant placer notre attention sur l’expression « demeures éternelles ».

« Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l’argent malhonnête, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles. »

Nous avons changé de plan. Nous avons quitté la Terre et ses contingences matérielles. Nous observons la scène depuis le Ciel. La perspective est différente. Une nouvelle interprétation apparaît, qui complète la première.

Les dettes dont il est question dans cette parabole sont maintenant des figures du péché.
L’intendant malhonnête a une dette envers son maître car il a mal géré ses biens. Il l’a volé sans doute, il a enfreint l’un des commandements de Dieu : il a péché contre Dieu. Par conséquent, il a une dette envers Dieu.
A cause de ses fautes, il sera chassé de la maison de son maître. Son pêché le livre à la damnation et le prive des demeures éternelles.

Les autres personnages, que sont les débiteurs auxquels le gérant remet une partie de leurs dettes pour se faire bien voir, ont eux aussi des dettes envers le maître : les cent barils d’huile et les cent sacs de blé représentent le poids du péché qui pèse sur nos épaules. Ce gens sont des pécheurs, comme nous tous. Tous ont péché, de diverses manières et à divers degrés.

L’intendant remet les dettes des débiteurs de son maître. Comme le prêtre au moment de l’absolution, il efface les fautes contractées, non contre lui, mais envers le maître. Nous ne pouvons pas remettre la totalité des péchés des hommes car nous ne sommes pas prêtres (sauf les quelques abbés qui me liront !) ; mais nous pouvons alléger le fardeau de nos frères en pardonnant généreusement les offenses qui nous ont été faites, à nous ou à autrui.
Cette interprétation est correcte puisque les habitants des demeures éternelles y vivent précisément parce que leurs péchés leur ont été remis. Les « amis » dont il est question sont donc bien tous ces gens qui ont bénéficié, sur la Terre, de la miséricorde de leurs frères, autant que de celle de Dieu.

La grâce ne nous appartient pas. Elle vient de Dieu. Elle vient du maître.
Aussi, n’hésitons pas à user avec largesse de cette grâce de savoir pardonner.
Et si ce n’est pas pour plaire à Dieu, que ce soit au moins pour l’intérêt égoïste de plaire à nos frères !

Telle était l’interprétation complète de cette parabole subtile.